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Tunisie

Promouvoir l'emploi des jeunes en Afrique du Nord

 

Discours  de Angel Gurría, Secrétaire Général de l’OCDE, prononcé lors de la conférence régionale "Promouvoir l'emploi des jeunes en Afrique du Nord : Perspectives économiques en Afrique du Nord 2012"


16 Juillet 2012, Tunis, Tunisie

Mesdames, Messieurs les Ministres, chers collègues,

C'est pour moi un immense plaisir d'être parmi vous aujourd'hui et d’ouvrir cette conférence de haut niveau sur « L’emploi des Jeunes en Afrique du Nord », à l’occasion du lancement régional des Perspectives économiques en Afrique de 2012.

C'est aussi un grand honneur d'être reçu ici à l’ancien Sénat par les autorités tunisiennes. Je les en remercie et je tiens à saluer tout particulièrement en elles un partenaire actif de l’OCDE. En effet, la Tunisie a participé à de nombreux travaux et échanges au sein de notre organisation, notamment dans le cadre de l’Initiative « MENA-OCDE pour la Gouvernance et l’Investissement à l’Appui du Développement ». Cette coopération s’est intensifiée avec l’adhésion en mai dernier de la Tunisie à une série d’instruments internationaux portant sur l’intégrité des entreprises, l’investissement international ou encore la croissance verte. Aujourd’hui, la Tunisie va également signer la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale: j’aurai le plaisir de participer à la cérémonie aux côtés du Ministre Abderrahmane Ladgham.

Je suis heureux également de retrouver nos partenaires de la Banque africaine de développement, de la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique et du PNUD, avec qui nous publions chaque année les Perspectives Économiques en Afrique.

L'an dernier nous avons décidé que l’édition 2012 porterait sur la promotion de l'emploi des jeunes. Ce choix s’est révélé tout à fait opportun, et nous espérons que nos conclusions viendront éclairer les décisions, parfois difficiles, que doivent prendre les gouvernements des pays d'Afrique du Nord, plus d'un an après le Printemps arabe.


L’emploi des jeunes : un enjeu pour la stabilité et la prospérité de la région

La jeunesse est un atout indéniable pour les économies d'Afrique du Nord. Mais elle peut devenir facteur d’instabilité si ses aspirations sont ignorées. Or le taux de chômage des jeunes dans la région est trois à quatre fois plus élevé que celui des adultes : 23% en moyenne.

Et c'est sans compter ceux qui échappent aux statistiques du chômage, parce qu'ils ont perdu espoir et ne cherchent plus de travail activement: si on tient compte de ces «découragés », les Perspectives économiques en Afrique montrent qu’en réalité pas moins de 40% de la jeunesse d'Afrique du Nord est exclue du marché du travail.

Les jeunes femmes sont les premières exclues. Des progrès significatifs ont été accomplis en matière de parité filles/garçons dans les cycles d'éducation secondaire et tertiaire, mais encore 23% de jeunes femmes dans la région ne font pas partie de la population active, contre seulement 5% pour les jeunes hommes. 

Notre rapport souligne une caractéristique particulièrement prononcée dans la région Afrique du Nord, à savoir que le chômage affecte particulièrement les jeunes diplômés. Au Maroc, la situation s’est améliorée : le taux de chômage des jeunes diplômés a baissé de 29% en 2005 à 18% en 2011, mais il reste tout de même très élevé par rapport à la moyenne nationale qui se situe autour de 9 %.  En revanche, le problème s’est aggravé en Tunisie depuis la fin des années 1990 : le taux de chômage des diplômés est passé de moins de 5% à plus de 20% aujourd’hui!  ! Ceci ne veut pas dire que le chômage n’est pas aussi un problème pour les jeunes sans diplôme. Au contraire.

Soyons clairs : l'emploi des jeunes dans les pays d'Afrique du Nord constitue une priorité essentielle pour assurer la stabilité et la prospérité dans la région. Cette jeunesse, si elle reste désœuvrée, peut constituer un facteur d’instabilité plutôt qu'une opportunité.  Les mêmes frustrations qui ont contribué à défaire des régimes autoritaires, si elles perdurent, peuvent également mettre à mal les régimes légitimes qui leur ont succédé. L’enjeu est de taille quand on sait que d'ici 2025, ce seront près de 10 millions de jeunes en plus qui arriveront sur le marché du travail dans la région.


Miser sur une croissance inclusive

Pour faire face à cet enjeu, il faut miser sur une croissance inclusive. : Sans croissance, il n’y aura pas d’emplois. Or les chiffres indiquent que la croissance dans la région rebondira – autour de 4% en 2013 – mais elle restera relativement timide par rapport à d’autres régions du monde, notamment par rapport à l’Amérique Latine et surtout par rapport à l’Asie du Sud-Est.

Mais la croissance n’est qu’une condition nécessaire. Elle ne suffit pas à elle seule à créer des emplois et éliminer la pauvreté. Même avec des taux de croissance relativement élevés, autour de 5% sur la période 2000-08, la création d'emploi a été insuffisante. La situation est différente dans chaque pays, mais de toute évidence la qualité de la croissance est en cause : une véritable transformation des structures économiques est indispensable.

Des réformes structurelles en faveur du secteur privé sont nécessaires pour insuffler une nouvelle dynamique de croissance dans les pays d’Afrique du Nord, qui soit inclusive et créatrice d’emplois, notamment pour les jeunes. L’un des principaux freins à la croissance en Afrique du Nord, c’est la faiblesse de la base productive de ses économies et le manque de diversification sectorielle. Il faut libérer l’initiative privée et l’entreprenariat dans l'ensemble des secteurs économiques! Car soyons honnêtes, le secteur public ne peut plus, et ne pourra plus absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. 

Pour cela, il est nécessaire d’améliorer l'environnement des affaires et la qualité de la dépense publique. Il faudra aussi redoubler d'efforts pour lutter contre la corruption : d'après un sondage mené auprès de chefs d'entreprise en Algérie, en Égypte et au Maroc, la corruption constitue le premier obstacle à leur développement.  Enfin, des incitations doivent être mises en place pour faciliter l’accès au crédit pour les PME. Le développement du microcrédit a amélioré la situation pour les très petites entreprises, mais l’accès au crédit reste extrêmement difficile pour les PME plus solides. 

Pour réussir cette transformation structurelle des économies d'Afrique du Nord, il faut aussi faire coïncider les qualifications des demandeurs d'emploi et les besoins réels des entreprises. Nous sommes loin du compte : en Égypte, d'après le Bureau international du travail, un million et demi de jeunes sont sans emploi ; dans le même temps, les entreprises privées ont 600 000 postes à pourvoir, pour lesquels elles ne trouvent pas les bons profils Il est aussi désespérant de constater que les diplômés ne trouvent pas d’emplois qui répondent à leur qualification. En Tunisie, le taux de chômage des ingénieurs est de près de 25%, celui des diplômés en économie, en gestion et en droit, va au-delà de 47% !

L'effort doit porter sur la refonte des systèmes d'éducation et de formation dans leur ensemble. Des progrès ont été réalisés dans certain pays de la région notamment en termes d’éducation de base. En Tunisie, les résultats de notre Programme international pour le suivi des acquis des élèves – l’enquête PISA -, ont même révélé une progression supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE depuis 2003.

La réforme des systèmes d'éducation supérieure et de formation, notamment celles des universités, doit préparer les jeunes aux emplois existant réellement sur le marché du travail. Cela doit passer par une coordination plus étroite avec les entreprises du secteur privé; et un appui renforcé à la formation professionnelle des jeunes. Notre rapport sur les « Perspectives Économiques en Afrique » montre que l'Afrique du Nord a le plus fort pourcentage au monde d'étudiants inscrits en sciences sociales, en gestion et en droit (51%) ; mais dans les matières techniques ils ne représentent que 10% contre le double en Asie. Cette réalité doit changer !

Mesdames, Messieurs les Ministres, chers collègues,
De nombreux pays de l’OCDE sont confrontés à des défis similaires : promouvoir une croissance inclusive, faire face au chômage des jeunes – dans les pays de l’OCDE, le taux de chômage des jeunes a doublé depuis la crise !, mais aussi améliorer et anticiper la demande de compétences tout en augmentant  l'offre d’emplois. 

C'est pourquoi nous avons lancé une série d’études intitulée Des emplois pour des jeunes, et plus récemment la Stratégie de l'OCDE sur les compétences : il s’agit d’une plateforme d'échange d'expériences et d'apprentissage mutuel entre gouvernements pour leur permettre de développer les outils de politiques publiques adaptés. Ces travaux peuvent être utiles aux pays d’Afrique du Nord.

Nous avons déjà bien avancé dans cette direction : dans le cadre du Partenariat de Deauville, la Plateforme de coordination des Institutions financières internationales a déjà permis d’identifier un éventail d'expériences particulièrement intéressantes concernant les stratégies de création d'emplois à court terme. Poursuivons cette collaboration. Réfléchissons ensemble à la meilleure façon d’adapter les expériences positives aux besoins de la région. Sachez que l'OCDE est résolue à continuer de s'engager à vos côtés pour promouvoir une croissance économique inclusive, qui permette aux jeunes, hommes et femmes, de contribuer à la prospérité et la stabilité de la région.

Je vous remercie et vous souhaite une excellente conférence.