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Mali

Insécurité sahélienne, printemps arabe et coopération transsaharienne

 

par Laurent Bossard

Directeur, Secrétariat du Club (CSAO/OCDE)

 

Au problème de l’instabilité sahélienne nourrie de la présence d’AQMI et de trafics en tous genre sur fond d’irrédentisme chronique, est venue s’ajouter, de l’autre côté du Sahara, l’onde de choc tunisienne, qui balaye l’Afrique du Nord, du Maghreb (qui veut dire l’Ouest) au Machrek (qui veut dire l’Est) et au-delà.

Ces deux situations sont très loin d’être indépendantes l’une de l’autre. Installé dans le Nord Sahel, AQMI est né en Afrique du Nord et le printemps arabe lui donne l’occasion de tenter d’y reconquérir du terrain. Depuis le début des années 80, le Colonel Khadafi a recruté des milliers de combattants sahéliens intégrés dans sa « Légion islamique ». Aujourd'hui, le Sahara et le Sahel sont sillonnés de flux intenses d’armes et d’ex-combattants mais aussi de migrants innocents chassés de Libye. Si l’on parle beaucoup des armes lourdes venues de Libye, il ne faut pas oublier les très importants stocks d’armes qui sont entrés en Afrique de l'Ouest lors de la crise ivoirienne ; ces armes circulent et iront là où on en a besoin. On parle désormais moins du trafic de drogue sud-américain transitant par les côtes ouest-africaines pour remonter vers le Nord à destination de l’Europe ; il existe toujours et si les saisies ont diminué, beaucoup pensent que c’est parce que les réseaux sont de plus en plus performants.  
« La région a été transformée en poudrière » a dit Mohamed Bazoum, le Ministre des affaires étrangères du Niger. Il est bien difficile de le contredire et on peut craindre le pire ; sachant que nul n’est en mesure de décrire ce « pire ». Ceux qui se risquent à des « prévisions » devraient considérer que tous les événements qui ont influé sur l’évolution du monde au cours de la dernière décennie étaient absolument improbables. Le printemps arabe en est la dernière illustration. Si l’on ne peut rien prévoir, on devrait en revanche s’accorder sur la nature transrégionale de ce qui se passe sous nos yeux et réfléchir à la renaissance de la coopération transsaharienne. Certes, les « pays du champ » (l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger), semblent vouloir renforcer leur coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Mais est-ce suffisant ? Qu’en est-il du Maroc, de la Libye, du Tchad et de la Tunisie? Qu’en est-il d’une ambition plus vaste où l’Afrique du Nord retrouverait son hinterland africain, où l’Afrique de l'Ouest retrouverait son Nord naturel et où le Sahara et ses franges sahéliennes redeviendraient un espace de coopération économique ?  

S’il fait peur, le Sahara est aussi une zone stratégique pour ses ressources pétrolières et minières. On envisage d’y faire passer un gazoduc qui reliera le Nigeria au marché européen via les côtes algériennes. On rêve d’y implanter des centrales électriques solaires gigantesques. Les riverains du Nord du Sahara sont en moyenne plus riches que ceux du Sud mais ont infiniment moins d’eau, de terres agricoles et d’élevage que ceux du Sud (Kadhafi ne voulait-il pas produire son riz dans l’Office du Niger au Mali ?). Précurseur, le Maroc a compris que l’Afrique de l'Ouest est remplie d’opportunités économiques pour ses entrepreneurs et a conclu un accord commercial avec l’UEMOA. A long terme, des accords de coopération économique entre les deux rives du désert semblent nécessaires : plus de capitaux nord-africains en Afrique de l'Ouest, plus d’échanges agroalimentaires, de produits textiles et manufacturés, d’oléoducs et de gazoducs transrégionaux et, surtout plus de routes. L’idée n’est pas nouvelle ; il est fortement souhaitable qu’elle fasse l’objet d‘un regain d’intérêt de la part des pays concernés et de leurs partenaires extérieurs.

            Ainsi par exemple, la route transsaharienne devant relier Lagos, Bamako, Niamey et N'djamena à Alger et Gabes (Tunisie) via Tamanrasset (Algérie). Lancé il y a plus de trente ans, ce projet n’est toujours pas achevé. Mailler le désert de routes, c’est lui (re)donner la vie en enclenchant un cercle vertueux : la route fait venir l’électricité et les télécommunications, engendre le commerce, développe les villes étapes ou carrefour, facilite l’exploitation minière et le tourisme ; autant d’éléments qui a leur tour engendrent l’activité économique et les flux commerciaux.

À court terme, il est évidemment nécessaire de « reconquérir » l’espace d’un point de vue sécuritaire. À long terme, il est plus difficile et moins rentable de « quadriller » un espace sans vie que d’aménager une zone de développement, de contact et d’échanges.

Des projets prioritaires de ce type doivent s’inscrire dans un espace institutionnel de coopération adapté. La Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) survivra-t-elle à la chute du Colonel Kadhafi ? L’Algérie n’est pas membre de cette organisation qui, par ailleurs, englobe presque la moitié du continent, bien au-delà des réalités transsahariennes. Quoi qu’il en soit, l’idée d’une coopération économique active entre les pays qui se partagent le désert est bonne et mérite qu’on lui dédie un espace de dialogue qui pourrait être animé conjointement par une Union du Maghreb Arabe que le printemps arabe pourrait faire renaître d’une part, et par la CEDEAO alliée à l’UEMOA d’autre part. Le CILSS devrait mettre sa connaissance intime des enjeux sahéliens au service de cette ambition.        

Plus que jamais, le Sahara apparaît pour ce qu’il est : un espace partagé dont les risques et les opportunités ne peuvent être abordés sans une coopération transrégionale renforcée. Aucune politique, ni de reconquête sécuritaire, ni de développement, n’est soutenable à long terme si chacun reste de son côté de la frontière. Le « défi nord-africain » et le « défi sahélien » ne doivent plus être abordés séparément.

 

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