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Développement

Atténuer la fracture alimentaire au Nigeria : un défi mondial

 

Le Nigeria est frappé par la famine. Sur les 9,6 millions de personnes nécessitant une aide alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest (mars-mai 2017), quelque 7,1 millions vivent au Nigeria : 3,2 millions dans l’État de Borno, 800 000 dans l’État d’Adamawa et 600 000 dans l’État de Yobe, le reste vivant dans les États du nord. Cela représenterait moins de 5 % de la population du pays le plus peuplé d’Afrique, qui compte plus de 180 millions d’habitants, mais c’est un chiffre inacceptable, équivalant à peu près à la population totale du Togo voisin.

 

En outre, selon nos dernières données, 44 000 Nigérians de plus sont menacés de famine, principalement dans l’État de Borno. Si une aide humanitaire d’urgence n’atteint pas les zones actuellement inaccessibles, ce chiffre pourrait se hisser à 50 000.

 

Huit années de conflits dans le nord-est du Nigeria, imputables notamment au groupe islamiste extrémiste Boko Haram, ont beaucoup fragilisé des moyens d’existence déjà précaires et provoqué une grave crise humanitaire. Les déplacements massifs de populations qui en ont résulté ont placé les trois États du nord-est (Adamawa, Borno et Yobe) en situation d’extrême insécurité alimentaire. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, 1,8 million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays ; environ 1 million de logements ont été détruits par Boko Haram ; plus de 1 200 écoles ont subi des dommages et 3 millions d’enfants ont besoin d’une aide éducative. Selon le gouvernement nigérian, 26 millions de personnes sont victimes de Boko Haram, et la seule ville de Maiduguri, dans l’État de Borno, abrite plus de personnes déplacées que l’ensemble des pays européens. Les problèmes de ravitaillement, la destruction des infrastructures et la hausse des prix alimentaires ont considérablement limité l’accès à la nourriture.

 

Plusieurs organisations régionales et partenaires internationaux ont appelé à l’action. Cette crise n’a toutefois guère mobilisé la communauté internationale, ce qui est en partie dû à la réaction hésitante du gouvernement nigérian. Les pouvoirs publics ont longtemps nié l’ampleur de la crise, reprochant même aux travailleurs humanitaires d’exagérer le problème ou de considérer le Nigeria comme une vache à lait. Le gouvernement a officiellement déclaré l’État de Borno en situation d’urgence nutritionnelle et admis la nécessité d’une aide internationale en juin 2016. Moins d’un tiers du Plan de réponse humanitaire 2016 (78,5 millions USD) a été financé. Les appels des Nations Unies pour 2017 visent aujourd’hui à mobiliser 1 milliard USD. En février 2017, à la Conférence humanitaire d’Oslo pour le Nigeria et la région du lac Tchad, des donneurs de 14 pays (essentiellement européens, mais où figurent également le Japon et la Corée) se sont engagés à verser 672 millions USD sur les trois années à venir.

 

La paix en action

Actuellement, plus encore que le financement, ce sont la protection et l’accès aux territoires contrôlés par Boko Haram qui constituent les principaux défis. Les autorités ont une fenêtre d’un à deux mois pour éviter la famine dans les zones inaccessibles. Si un apport massif d’aide humanitaire a permis d’améliorer la situation dans certaines parties des États d’Adamawa et de Yobe, une nouvelle détérioration est attendue au cours de la période de soudure entre juin et août 2017. Tant que Boko Haram continuera de dévaster la région du lac Tchad, le Nigeria et ses voisins seront chaque année confrontés à la même situation.

 

Au-delà de l’urgence humanitaire immédiate, trois stratégies de long terme peuvent concourir à remédier à la crise nigériane :

 

Premièrement, une action pour ramener la paix et la sécurité dans le bassin du lac Tchad. L’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans le nord-est du Nigeria ne saurait être vaincue sans que Boko Haram ne soit refoulé, si ce n’est vaincu. La comparaison entre la carte de l’insécurité alimentaire et celle des violences perpétrées par Boko Haram montre à quel point insécurité civile et insécurité alimentaire sont liées.

 

Certains signes encourageants laissent penser que des forces de sécurité comme la Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF) ont commencé à coordonner plus efficacement leurs actions. Depuis son élection en mars 2015, le Président Buhari fait de la lutte contre Boko Haram une priorité absolue. Plusieurs dirigeants de Boko Haram ont été arrêtés ou tués ; les autorités civiles retrouvent progressivement l’accès aux zones contrôlées par Boko Haram. Début mai 2017, 82 des 276 jeunes filles de Chibok enlevées il y a trois ans ont été relâchées. Outre des solutions purement militaires, une paix durable ne peut toutefois être envisagée qu’après le rétablissement des gouvernements locaux et la restauration d’un climat de confiance et de résilience dans la population locale. C’est là un effort collectif auquel devront être associés tous les pans de la société.

 

Deuxièmement, une réflexion de long terme qui transcende les frontières. En décembre 2016, le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA), avec le concours du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE), a exhorté les partenaires internationaux à passer de l’aide d’urgence à une phase de reconstruction et de développement à long terme du bassin du lac Tchad. Il s’agirait dans un premier temps d’aligner les priorités des partenaires au développement sur celles de l’Initiative du Président Buhari pour le nord-est et des stratégies nationales de développement économique pour « remettre progressivement l’accent sur la reconstruction, la réinstallation des déplacés internes et le rétablissement des moyens d’existence ». De par son caractère transnational (le Cameroun, le Tchad et le Niger sont aussi concernés), cette initiative exige une action collective coordonnée au niveau régional. Jusqu’ici, les plans de réponse ont porté sur des pays isolés. La concurrence entre pays ou partenaires pour l’obtention de ressources financières constitue un obstacle. Les pays de la région et leurs partenaires doivent coopérer plus efficacement à l’échelon régional.

 

Troisièmement, restaurer la confiance et investir du temps et des efforts pour bâtir des sociétés inclusives et résilientes. Les populations locales attendent légitimement de leurs gouvernants qu’ils assurent les services sociaux de base, notamment l’éducation, les services de santé, ou l’accès à l’eau, à l’électricité et aux autres infrastructures. Les politiques publiques ont longtemps négligé les populations de l’extrême nord-est du Nigeria, d’où une hostilité généralisée et une défiance à l’égard du gouvernement qui aggravent la situation. Regagner la confiance du public est une lourde tâche, qui pourrait prendre des années, voire des décennies, mais elle est indispensable.

 

La crise nigériane montre bien l’importance de l’inclusion sociale. Longtemps, la crise alimentaire et nutritionnelle dans le nord-est du pays a été largement ignorée par le sud, où Boko Haram était perçu comme un problème « du nord ». Ce n’est qu’après les attentats suicide qui ont frappé les grandes villes et la capitale Abuja que l’ensemble du pays a pris la mesure de la menace que représentait Boko Haram. L’idée du Nigeria comme « un peuple, une nation » a marqué l’histoire du pays depuis son indépendance il y a plus de 50 ans. Les retombées au-delà du seul Nigeria ne sauraient être sous-estimées car, ainsi que l’a déclaré un haut responsable américain, Nathan Holt : « l’avenir du Nigeria compte non seulement pour le Nigeria, mais aussi beaucoup pour les pays voisins et […] pour la planète. » (« Africa : Briefing on Nigeria », de Nathan Holt, Directeur adjoint, Bureau des Affaires ouest-africaines, Bureau des Affaires africaines, mai 2017).

 

Ce qui n’était au départ qu’une crise localisée au Nigeria pourrait devenir l’une des pires crises humanitaires mondiales. C’est un danger que ne peuvent courir ni l’Afrique ni le monde.

 

Voir http://www.oecd.org/fr/csao

Bossard, Laurent (2017), « Les frontières et les réseaux oubliés du développement », accessible sur https://oecd-development-matters.org, 17 janvier

© L'Annuel de l'OCDE 2017 

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Laurent Bossard
Directeur, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE 

© L'Annuel de l'OCDE
2017

 

 

 

 

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