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Construire un réseau des organisations de l’élevage

 

Entretien avec le Dr. Ibrahima ALIOU

Secrétaire général de l'Association pour la Promotion de l’Élevage au Sahel et en Savane (APESS)

Créée en 1989, Les activités de l'APESS compte aujourd'hui environ 15000 adhérents dans douze pays africains. Sa mission consiste à « soutenir l’activité de l’élevage et les éleveurs traditionnels pour encourager un changement de mentalité et de pratiques des éleveurs et des autres acteurs du milieu ». APESS s'appuie sur trois Centres Régionaux d’Information, de Formation et d’Animation (CRIFA) : à Dori au Burkina Faso, à Thiès au Sénégal et à Garoua au Cameroun. > en savoir plus

 

Quel bilan tirez-vous de votre action ? Quels sont les progrès accomplis dans le secteur de l’élevage ?

L'APESS a influencé l'évolution des idées sur l'élevage et permis aux éleveurs de s'organiser et d’être mieux reconnus. Le bilan des activités réalisées en 2007 a montré que les membres ont réalisé des bénéfices économiques grâce à la mise en pratique des conseils donnés par l’APESS ; Même si des progrès restent à faire dans la sélection des animaux,  ainsi que dans l’aménagement et la sécurisation des espaces agropastoraux. Le bilan montre également que les comportements et les mentalités des membres ont changé. Leurs priorités sont de trois ordres :

  • Le monde des éleveurs et de l'élevage est en train de changer. L’APESS doit continuer à apporter des connaissances aux éleveurs afin qu'ils ne soient pas écrasés par ces changements ; qu’ils les maîtrisent en sachant où ils vont, en "osant" introduire les innovations qui leur permettent de ne pas dépendre des autres, et en ayant la volonté de persévérer.
  • Les éleveurs ont besoin d'une organisation forte, indépendante et durable pour soutenir leur espoir et faire entendre leur voix. C'est pourquoi il est important de redéfinir les rôles et les responsabilités au sein de l'association.
  • L’avenir de l'élevage repose sur les générations futures. La question des jeunes, de leur éducation, de la place et des responsabilités qu'on leur donne dans nos familles et nos organisations est une de nos priorités.

Du point de vue des producteurs, quelles sont les menaces auxquelles la filière élevage doit faire face ? Quels sont les défis et opportunités présents et futurs ?

Les menaces ressenties par les éleveurs sont les suivantes :

  • L’insécurité foncière, le non-respect des textes sur la circulation des animaux qui conduit à des taxes, licites ou illicites ; l’insécurité et le banditisme ; en particulier depuis quatre ans au Tchad, en RCA et au Cameroun ;
  • La réduction et la raréfaction des ressources naturelles liées à l’avancée du front agricole, aux conséquences des changements climatiques et à la croissance démographique qui accentue la pression sur les ressources naturelles ;
  • Le manque d’organisation des éleveurs qui entrave la résolution de leurs problèmes aujourd’hui.

L’APESS est également préoccupée par le fait que ceux qui s’occupent des politiques de l’élevage n’ont pas toujours la conscience de l’élevage et donc proposent des actions inadaptées et incohérentes.

Dans le cadre du bilan réalisé en 2007, cinq défis majeurs ont été retenus :

  • Défi technique : maîtrise de la conduite de « l'élevage de vie » pour augmenter ses bénéfices ;
  • Défi économique : maîtrise et développement de l'économie de l'élevage autour de la production laitière ;
  • Défi spatial : sécurisation des éleveurs sur leurs espaces de vie et d'activité ;
  • Défi socioculturel : sortie des éleveurs de leur marginalité sociopolitique ;
  • Défi géostratégique : prise de conscience et acquisition de compétences pour s'accorder avec la mondialisation.

Les éleveurs ne peuvent pas faire face de façon isolée à ces défis ; d’où l’importance de la mission de l’APESS : la force des éleveurs dépend de leur capacité à se rassembler dans un mouvement de grande ampleur.

 

Les mutations profondes des systèmes pastoraux traditionnels nécessitent une capacité d’adaptation importante : la croissance démographique renforce la demande et fait pression sur les capacités de production ; cependant la concurrence déloyale exercée par les viandes importées (« dumping ») entrave la compétitivité de la production locale. Quelle est votre stratégie pour faire face à cette concurrence ? Comment réagissent les éleveurs pour s’adapter à ce contexte ?

Tout d’abord, il ne peut pas y avoir une stratégie isolée ni individuelle à l’échelle d’une seule association ou organisation. Il faut donc que les organisations d’éleveurs adoptent une stratégie commune. La mise en place d’un réseau est nécessaire. Le ROPPA et l’ACDIC ont montré le chemin.. Pourquoi d’ailleurs, ne pas adhérer au ROPPA et renforcer sa plate-forme sur l’élevage ? Plutôt que de mettre en place un nouveau réseau, nous pourrions valoriser la puissance et la stratégie du ROPPA et de l’ACDIC pour défendre les intérêts du secteur de l’élevage. Cette stratégie doit être appuyée et relayée au Nord par les médias et par le collectif de la sécurité alimentaire dont SOS-Faim, un de nos partenaires, est membre pour la sensibilisation des instances de décision en Europe.

Tous les éleveurs aujourd’hui est mitigée. Tous reconnaissent des difficultés pour la vente de leurs produits mais en même temps ils ne mettent pas en œuvre  une stratégie claire pour y faire face. C’est aux organisations d’éleveurs de travailler pour les sensibiliser et les amener à comprendre les dangers de cette concurrence et d’élaborer une stratégie adéquate. Il faut aussi reconnaître que les États et les institutions régionales comme la CEDEAO et l’UEMOA réfléchissent également à la question. Au Niger par exemple, il y a un projet de construction d’abattoirs qui devraient augmenter la création de plus value au niveau local.

 

L’élevage est au cœur des sociétés et des économies sahéliennes. Son importance n'est cependant pas reflétée dans les budgets consacrés à l'élevage. Selon vos sources, le Burkina y consacre à peine 1% de son budget alors que le Sénégal fait mieux avec 10%. Comment expliquez-vous cette différence? Que comptez-vous faire en matière de « lobbing » pour la promotion de l’élevage auprès des États ?

Le chiffre de 1% au Burkina Faso correspond à une moyenne sur les vingt dernières années. Mais aujourd’hui il est en hausse, même s’il reste toujours faible. Le paradoxe que vit l’élevage est extraordinaire. Malgré son apport important à l’économie nationale,  sa contribution significative au PIB et le nombre élevé des citoyens qu’il fait vivre,  le retour à l’investissement pour ce secteur est très faible. De notre point de vue, ceci s’explique de la façon suivante:

  • Ceux qui devraient appuyer le secteur de l’élevage n’ont pas la conscience de l’élevage ; ils considèrent à tort que les éleveurs n’ont qu’à s’organiser pour faire face à leurs problèmes ;
  • Les éleveurs ne sont pas assez organisés pour faire valoir leurs revendications. Dans les pays où la tradition d’organisation est ancienne, comme le Sénégal, les préoccupations des éleveurs sont mieux prises en compte que dans ceux où elle est plus récente comme le Burkina. La sous-scolarisation, particulièrement forte dans la communauté des éleveurs, ne leur permet pas d’être présents dans les structures de programmation et de décision.
  • Les éleveurs votent très peu et sont absents dans les listes électorales. Ils ont donc très peu d’élus qui défendent leurs intérêts et ne constituent pas une base sur laquelle les politiques peuvent compter pour porter leur voix aux décideurs.

Nous avons des contacts réguliers, notamment avec les Ministres des Ressources animales du Niger et du Burkina Faso. Nous avons d’ailleurs été reçus par les deux Ministres dans le cadre de la préparation du Forum de Niamey. Ils ont beaucoup soutenu notre position, celle de l’ensemble des organisations qui ont participé à ce travail de préparation (APESS, Bilital Maroobé, Association pour la Redynamisation de l’Élevage au Niger (AREN), Pastoral Resolve (PARE Nigeria), National Commission for Nomadic Education (Nigeria - NCNE),, Maison des éleveurs, Fédération des éleveurs de l’Adamaoua (Cameroun –FEPELAD), etc.)

L’action à mener auprès des États est d’abord un travail de sensibilisation. Nos organisations, qui sont en contact direct avec les acteurs de terrain, connaissent mieux les problèmes que vit le secteur et peuvent porter la voix des éleveurs. Mais au-delà, de la sensibilisation, les gouvernements  ont besoin de propositions claires et bien argumentées pour les porter et les défendre. Ces propositions manquent très souvent. Par ailleurs, il faut que les éleveurs et leurs organisations travaillent à constituer un groupe fort pouvant faire pression auprès des décideurs pour que leurs soucis, leurs besoins et leurs ambitions soient pris en compte.

 

 

La dernière Assemblée générale de l’APESS en 2008 était consacrée au rôle de la femme. Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?

La femme a la responsabilité de l’activité du lait, de la traite jusqu’à la vente. En fait, plus de 50% de l’économie de l’élevage est tenue par la femme. Les femmes s’intéressent aussi de plus en plus à l’embouche pour la vente des animaux. Les deux activités connaissent un regain d’intérêt dans les familles où le stockage du foin est devenue une tradition et permet d’obtenir une plus value supérieure en saison sèche. En simplifiant, les hommes conduisent les troupeaux et les femmes les entretiennent et les valorisent.

L’APESS met la femme au cœur de ses interventions parce qu’une femme bien formée et sensibilisée est un élément moteur pour l’ensemble de la famille. L’APESS a donc imaginé et conçu une formation spécifique pour les femmes, orientée vers un changement de mentalité et une activité mieux gérée. L’APESS travaille aussi en partenariat avec d’autres organisations et programmes de développement, par exemple au Centre de Garoua, pour initier les femmes aux activités génératrices de revenus.

Le thème « femme - culture - sagesse » qui était celui de notre dernière Assemblée générale, a été choisi pour réveiller la conscience de tous, hommes comme femmes, sur le rôle fondamental de la femme dans une société et particulièrement dans celle des éleveurs traditionnels pour que cette importance soit soulignée et que la femme assume entièrement la place qui lui revient, que son rôle bénéficie au progrès social de la famille et de la communauté. Cela a été un succès. Beaucoup de préjugés et clichés ont été abordés et débattus pour être modifiés.

 

Vous avez également mis en avant la complicité/relation qui se développe entre les éleveurs et leurs animaux. Vous dites que « L'élevage est un processus de transformation et d'évolution par les gains que l'éleveur et l'animal réalisent par leurs échanges de bons procédés et produits. Si on leur offre ce qui les élève sur tous les plans, ils nous élèvent en retour sur tous les plans. L'élevage est donc un contrat d'échanges entre l'animal et l'éleveur, chacun devant respecter les termes du contrat. Une telle logique est-elle compatible avec la recherche de plus de profit ? Est-ce que la spiritualité joue un rôle important dans ce métier ?

Évidemment que cette logique n’est pas compatible avec une démarche exclusivement tournée vers la maximisation du profit. On devrait d’ailleurs y réfléchir parce que, très probablement, cette logique qui nous a conduits à des crises répétées, notamment celle de la vache folle, de la grippe aviaire et surtout à la crise mondiale actuelle. On assiste d’ailleurs aujourd’hui au retour du « tout bio » en Europe. C’est dire qu’on reconnaît que l’animal ne peut pas être considéré comme « une machine de production ». L’animal a une vie et de toute façon il partage cette vie avec celui qui l’élève. Si les deux sont en accord ils « s’élèvent mutuellement ». Cette approche n’exclue pas que l’éleveur atteigne un profit optimal, sauf que le profit n’est pas l’objectif mais le résultat. C’est très important. A cet effet, la spiritualité a un grand rôle, car elle permet de relativiser et de transcender le profit pour d’abord le bien de l’animal qui, dans le cas d’une production, doit donner son consentement.

 

Le Nigeria est de loin le plus grand pays d’élevage en Afrique de l'Ouest. Au Sahel, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal sont les principaux pays producteurs.  Échangez-vous vos expériences avec les associations de producteurs des pays voisins ? L’idée d’un réseau régional est-elle à l’ordre du jour ? Existe-t-il de la concurrence entre vous ?

On doit admettre que les échanges d’expériences avec les associations des pays voisins n’étaient pas une grande tradition à l’APESS.  En dehors de l’espace de son Assemblée Générale annuelle, où certaines associations sont invitées, il n’y a pas eu de politique affichée d’ouverture aux autres. Mais, nous avons l’ambition d’y remédier car nous considérons qu‘aucune association ni organisation, aussi puissante qu’elle soit, ne peut se suffire à elle-même, ne peut prétendre détenir seule la « vérité ». Les  échanges d’expériences et la mise en commun de la diversité des compétences et des points de vue permettront de mieux résoudre les problèmes de l’élevage. Nous avons d’ailleurs eu la preuve de l’importance de cette démarche dans le cadre de la grande concertation que nous avons initiée pour la préparation du Forum régional de l’élevage. Cette concertation nous a permis de maximiser l’impact de la participation des éleveurs au Forum. La nécessité d’une mise en réseau est partagée par l’ensemble des organisations. Nous n’avons pas encore engagé la discussion à ce sujet. Il faut que quelqu’un ou quelques uns en prennent l’initiative. Nous le feront très bientôt. La concurrence n’a pas lieu d’être entre des organisations sérieuses qui ont en réalité le même objectif. C’est la complémentarité qui est à l’ordre du jour.

 

Dans la Note d’orientation issue du Forum régional de l’élevage les Ministres des États membres de la CEDEAO soulignent la nécessité de « renforcer les capacités des organisations professionnelles nationales et régionales ». Quels sont les actions concrètes qui pourraient être menées? Que comptez-vous entreprendre ? Qu’attendez-vous des politiques nationales et de la CEDEAO ?

D’abord il est nécessaire que les organisations d’éleveurs, notamment, celles qui ont participé se concertent et formulent un plan de mise en œuvre de ces différentes recommandations. Sur cette base, il semble nécessaire de faire l’état des lieux : qu’est-ce qui existe déjà ? Quelles sont les actions entreprises par les Etats et par les institutions interafricaines et sous-régionales ?  Enfin, il faut engager le dialogue avec les autorités publiques et des institutions régionales (CEDEAO, UEMOA, CILSS) pour entrevoir les possibilités de mise en œuvre.

Nous serons vigilants. Nous veillerons  à la traduction concrète de ces recommandations dans le plan d’action sur l’élevage que la CEDEAO est chargée de développer.

 

>> APESS

Creation :    

1989 

Adhérents :

environ 15000 

Pays d'intervention :

Burkina Faso, Cameroun Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Mali,  Mauritanie, Niger, Nigeria, République centrafricaine, Sénégal et Tchad

Structures :

 

Un Secrétariat général situé provisoirement à Ouagadougou (Burkina Faso) et trois Centres Régionaux d’Information, de Formation et d’Animation (CRIFA) : à Dori au Burkina Faso, à Thiès au Sénégal et à Garoua au Cameroun.

Mission :

 

 « soutenir l’activité de l’élevage et les éleveurs traditionnels pour encourager un changement de mentalité et de pratiques des éleveurs et des autres acteurs du milieu »

Activités :

 

  • Formation spécifique et complète, touchant à toutes les sensibilités de l’être humain : spirituelle, intellectuelle, émotionnelle et matérielle (technique) favorisant un changement de mentalité et de pratique ;
  • Appuis à l’organisation, à l’alphabétisation des adultes et à la scolarisation des enfants ;
  • Appui à l’amélioration de l’alimentation des animaux en saison sèche (banques fourragères ou stockage de foin) et amélioration fourragères des espaces (subvention des semences fourragères).
  • Sensibilisation aux nouveaux défis et enjeux et leurs implications dans les politiques afin d’être partie prenante des sphères de décision.

Benificiares :

 

les éleveurs traditionnels pour lesquels l’élevage est d’abord  un mode de vie avant d’être une activité économique

Budget :

 

940 000 € annuel, repartie entre  les 3 centres régionaux
Sources de financement :

  • ~ 85 % par les partenaires au développement : 
     Coopération suisse (DDC): 65 % ; SOS-Faim : 20%
  • ~ 10 % par les contributions des éleveurs adhérents
  • ~ 5 % prestations de service à des tiers

 

 

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