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Gouvernement d'entreprise

Des conseils d’administration en transition

 

Ces dernières années, les affaires sur les pratiques douteuses des entreprises se multiplient. Il fut un temps où elles n’auraient pas laissé de trace dans la conscience collective. Mais dans notre monde interconnecté, les consommateurs et autres acteurs sont plus exigeants vis-à-vis de ce qu’ils jugent admissible dans le comportement des entreprises. Il revient aux conseils d’administration et à leurs membres de veiller à ce que leur organisation réponde à ces attentes.

Les histoires de conseils d’administration et de dirigeants d’entreprises sont les Fables d’Ésope du monde économique actuel : des récits édifiants, qui nous mettent en garde contre ce qui peut mal tourner lorsque argent, pouvoir et démesure rendent les organisations sourdes aux impératifs éthiques et aux besoins des consommateurs et des autres parties prenantes.

Ces dernières années ont été riches en histoires sur des assemblées générales annuelles animées, la rémunération des patrons, la gouvernance de sociétés récemment cotées, la diversité dans les conseils d’administration, et bien d’autres sujets encore. D’Olympus, au Japon, à Facebook, Yahoo et HP dans la Silicon Valley, les frontières n’existent pas et les thématiques sont universelles. La fréquence et la rapidité avec lesquelles les conseils d’administration font les gros titres sont sans précédent, et le ce rythme ne semble pas près de ralentir.

Qu’est-ce qui a changé ? Premièrement, la transparence : désormais, le monde écoute, et parle. L’information circule librement et rapidement, de sorte qu’il n’est plus possible de cacher la poussière sous le tapis, ni de s’en sortir par une opération de communication bien rodée. L’information s’est tellement démocratisée que chacun y a désormais accès et dispose également des moyens de la diffuser.

Deuxièmement, la connectivité : du printemps arabe au mouvement des Indignés, en passant par le « printemps des actionnaires », nous voyons éclore un fort sentiment de connectivité entre les peuples et les consommateurs. L’idée selon laquelle où qu’ils vivent, les gens ont les mêmes besoins, attentes et désirs fondamentaux, et méritent de travailler dans un environnement sûr et pour une rémunération équitable, fait progressivement son chemin. Les consommateurs veulent savoir où, comment et par qui sont fabriqués les produits qu’ils achètent. Ils sont de plus en plus sensibilisés à des événements comme l’incendie ravageant, l’an dernier, une usine de vêtements au Bangladesh qui fournissait des détaillants dans le monde entier, et dans lequel plus d’une centaine d’ouvriers ont laissé la vie. Conscients du rôle qui leur incombe, les consommateurs agissent en prenant la parole et en votant avec leur porte-monnaie.

Troisièmement, le marché mondial : des groupes comme Apple et Nike, parmi d’autres, vendent de plus en plus leurs produits là où ils les fabriquent. Et le monde étant de moins en moins partagé entre pays producteurs et consommateurs, il s’agit littéralement de questions de proximité pour de très nombreux consommateurs.

L’équation se complique lorsque les entreprises opèrent dans des pays en développement, où la législation et la réglementation sur les salaires, l’hygiène et la responsabilité sociale, lorsqu’elles existent, sont souvent plus flexibles. La vocation d’une entreprise n’est pas de s’installer quelque part et de se contenter du minimum requis ; elle est d’incarner une éthique mondiale que l’entreprise applique partout où elle opère. Le cas de Foxconn et Apple démontre que le monde n’entend plus laisser les entreprises s’affranchir aussi facilement du respect d’une règle mondiale d’éthique et d’équité dans la conduite de leurs opérations. Il y a également de plus en plus de cas de corruption concernant des grands groupes : la chaîne américaine de supermarchés Walmart a ainsi dû affronter un scandale de pots-de-vin au Mexique, et un ancien PDG de la plus grande société d’ingénierie canadienne, SNC-Lavalin, a été arrêté.

Quatrièmement, l’écosystème : les conseils d’administration ne sont pas seulement responsables devant les actionnaires. Ils doivent des comptes à l’ensemble de l’écosystème de l’organisation, et notamment aux salariés, aux consommateurs, aux populations environnantes et aux investisseurs. Comprendre cet écosystème et la responsabilité de l’entreprise à son égard doit être une priorité. Les entreprises ne doivent pas se préoccuper seulement de leurs bénéfices, mais aussi de la manière dont elles les réalisent et du leur coût pour la collectivité. BP dans le golfe du Mexique, Union Carbide à Bhopal, Apple et Foxconn, et plus récemment les démêlés de Starbucks, Google et Amazon avec le fisc au Royaume-Uni, sont autant d’exemples. La responsabilité sociale exige plus qu’un geste symbolique ou un don à une oeuvre caritative. Elle doit être au coeur du fonctionnement de l’entreprise : elle ne vient pas en plus, ni après coup, et n’est pas un palliatif.

©Reuters/Brendan McDermid

Cinquièmement, la demande de diversité : le public considère de plus en plus que la diversité dans un conseil d’administration ne doit pas être un simple effet d’optique. Pour être en bonne santé, une entreprise a besoin de diversité. La diversité de pensée, d’expérience, de savoir-faire, d’analyse, de perspective et d’âge permet à un conseil d’administration de mieux voir et comprendre les risques, et d’y apporter des réponses solides. La diversité est l’un des principes fondamentaux de la bonne gouvernance.

La Commission européenne s’est attaquée au problème par la réglementation, et divers pays européens, dont la France et l’Italie, ont légiféré sur des quotas. Même dans les pays sans quotas, les mouvements en faveur de la diversité dans les conseils d’administration demeurent forts.

Que peuvent faire les conseils d’administration ? La politique de l’autruche ne marche plus.

Ils doivent poser des questions et exiger des réponses complètes. Se voiler la face n’est pas une solution pour les administrateurs : dès qu’ils ont connaissance d’un problème, ils doivent agir rapidement et avec détermination.

Nous devons nous questionner sur notre engagement : va-t-il au-delà des promesses ? Pratiques éthiques et réflexion globale sont-elles inscrites dans l’ADN de l’organisation ? Ce type de raisonnement est-il cantonné aux « programmes citoyens » consentis par les entreprises, ou bien existe-t-il une stratégie globale qui s’incarne au-delà du papier et des mesures adoptées ?

Tous les secteurs sont concernés. Certains viennent naturellement à l’esprit, mais nul (énergie, industrie pharmaceutique, banques, technologie, etc.) n’y échappe. Aucune entreprise qui fabrique, utilise des produits manufacturés (comme le montre le cas Foxconn, vos approvisionnements sont votre responsabilité) ou des matières premières (minerais extraits dans des zones de conflit), est implantée dans un pays en développement (salaires équitables, conditions de travail décentes, corruption), etc., n’y échappe.

Nous devons porter sur nous-mêmes un regard sans concession. En tant qu’administrateurs et conseils d’administration, sommes-nous passifs ou engagés ? Le moment est venu d’agir.

Il est toujours possible d’adopter une approche simpliste et d’invoquer les risques. Mais si la force et la viabilité de la société, et de l’économie en général, nous importent, nous devons poser les vraies questions et nous assurer de recevoir des réponses vraiment satisfaisantes.

Les échos récents du monde de l’entreprise ont souvent été négatifs. Espérons qu’à l’avenir, ils compteront aussi des exemples de courage, d’intégrité et d’indépendance de pensée et d’action.

 

Références et liens recommandés

www.marcusventures.com

Travail de l'OCDE sur le gouvernement d'entreprise

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©DR

Par Lucy Marcus, PDG, Marcus Venture Consulting

 

©L'Annuel de l'OCDE 2013

 

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