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France

Audition par la Délégation à la prospective du Sénat Français du Secrétaire général de l'OCDE, M. Angel Gurría

 

Remarques de M. Angel Gurría,

Secrétaire général de l'OCDE

Paris, le 25 juin 2015

 

 

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de la délégation sénatoriale à la prospective, Mesdames et messieurs les Sénateurs,

 

C’est pour moi un grand honneur de m’adresser à la Délégation à la prospective du Sénat de la France, pays hôte de l’OCDE. La France est un acteur majeur de la gouvernance mondiale et a un rôle essentiel à jouer dans la promotion de politiques coordonnées assurant une croissance plus robuste et inclusive en Europe et dans le monde.

 

Une reprise économique mesurée dans un contexte de croissance de moyen terme modérée

 

Certes l’économie mondiale va mieux. Nous prévoyons un raffermissement progressif de la croissance mondiale qui devrait renouer avec son rythme d’avant la crise d’ici fin 2016. Pour autant, lors de la publication de nos début juin nous n’avons attribué à l’économie mondiale que la note tout juste passable de B-. 

 

Pourquoi ? Parce que même si la croissance se redresse dans les 2 ans qui viennent, les perspectives à moyen terme ne sont guère satisfaisantes. Elles sont encore loin d’un rythme de croissance robuste permettant d’augmenter fortement l’emploi et de réduire les inégalités. Et au cours des décennies à venir, nos exercices de prévisions suggèrent une diminution de la croissance mondiale de 3,6% entre 2010 et 2020, à 3,4% entre 2020 et 2030, à 3.1% entre 2030 et 2040, et moins encore à l’horizon 2060. Elle s’établirait à 2% dans les pays de l’OCDE en moyenne entre 2030 et 2040.

 

Mais ce n’est pas une fatalité et le monde de demain dépend des politiques que nous mettons en œuvre aujourd’hui. Nous appelons donc les pays, dont la France, à adopter des programmes d’action équilibrés comportant des mesures monétaires, budgétaires et structurelles qui se renforcent mutuellement afin d’améliorer le potentiel de croissance.

 

Les ingrédients d’une croissance plus robuste et plus inclusive

 

Tout d’abord, il faut augmenter le rythme de croissance de la productivité. Alors que dans les décennies à venir nos économies seront confrontées au vieillissement de leur population et que les marges pour accroitre plus encore la participation au marché du travail se réduisent, les gains de productivité vont devenir le moteur essentiel de la croissance.

 

Or ceux-ci sont aujourd’hui incertains. Au cours des 25 années précédant la crise économique mondiale de 2007, la productivité du travail a augmenté de 2% en moyenne dans les pays avancés. Entre 2011 et 2014, elle n’a augmenté que de 0.7%, et moins encore au Royaume-Uni, au Japon, aux Etats-Unis et dans la zone euro, y compris en Allemagne et en France. La performance décevante de la productivité observée ces dernières années s’explique en grande partie par le bas niveau des dépenses d'équipement et la faible croissance de l’investissement productif. L’investissement n’est donc actuellement pas au rendez-vous pour une reprise solide.

 

Pour accélérer la croissance de la productivité, nos travaux montrent qu’il faut agir à la fois pour repousser la frontière de la productivité mondiale et pour faciliter la diffusion des innovations dans les entreprises. Pour cela, il faut des politiques d'innovation qui soutiennent la recherche fondamentale et facilitent l'assimilation des connaissances extérieures par les entreprises - y compris via des collaborations entre les universités en matière de Recherche & Développement.

 

Il faut un environnement qui favorise une allocation efficace des ressources et donc des politiques réduisant les barrières à la création d’entreprises, améliorant l’efficacité des systèmes judiciaires et les lois sur la faillite pour qu’elles ne pénalisent pas trop l'échec, favorisant ainsi la création de marchés du capital-risque.

 

Ensuite, il faut continuer à agir pour une croissance plus robuste qui bénéficie à tous. Si le taux de chômage dans les pays de l’OCDE attendu à 6,9% en 2015 et à 6,6% en 2016 se rapproche du taux de chômage structurel, il reste très élevé dans la zone euro, à 11.1% en 2015 et 10.5% en 2016.

 

Par ailleurs, les inégalités de revenus ont atteint des niveaux record dans la plupart des pays de l’OCDE. Aujourd’hui, les 10 % les plus riches ont un revenu d’activité 9,6 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres, alors que la proportion était de 7,1 dans les années 1980 et 9,1 dans les années 2000. En France, les inégalités sont proches de la moyenne OCDE. Mais, elles ont augmenté plus nettement que dans d’autres pays pendant la crise. Enfin, selon nos prévisions à plus long terme, en raison de l’importance économique croissante des connaissances et des compétences, les inégalités vont continuer à augmenter dans les pays de l’OCDE: d’ici 2060, il est concevable que le niveau des inégalités de revenus avant impôt en moyenne dans les pays de l’OCDE atteigne celui des pays de l’OCDE les plus inégaux aujourd’hui.

 

Nos travaux montrent toutefois qu’il est possible, et nécessaire, à la fois d’accroitre la productivité et de réduire les inégalités, notamment en investissant dans le capital humain – c’est-à-dire dans l’éducation et les compétences tout au long de la vie active – et en réduisant les problèmes d'inadéquation des compétences.

 

En sus de la redistribution par l’impôt et les transferts, réduire les inégalités passe aussi par l’amélioration de la qualité des emplois. Plus de la moitié de tous les emplois créés dans l’OCDE au cours des vingt dernières années ont été des emplois à temps partiel, à durée déterminée ou comme travailleur indépendant, sources de revenus d’activité souvent faibles et instables. Il s’agit là d’un facteur important de l’accentuation des inégalités dans nos économies qui touche particulièrement les jeunes.

 

Au-delà de l’impact social, l’accentuation des inégalités et les médiocres opportunités d’emploi nuisent à la croissance économique à long terme. À mesure que les inégalités augmentent, les familles les moins aisées connaissent une baisse significative du niveau d’éducation et de compétences. Selon nos analyses cela aurait amputé la croissance de 4,7 points de pourcentage en cumulé entre 1990 et 2010 dans les pays de l’OCDE.

 

La coordination internationale est essentielle

 

La crise a souligné la nécessité de prendre en compte les effets croisés des politiques économiques et leur impact sur les autres pays. Améliorer la collaboration internationale et la gouvernance mondiale est donc essentiel. Cela permettra de limiter les effets collatéraux négatifs de certaines politiques mais aussi de multiplier les effets bénéfiques des politiques nationales.

 

Permettez-moi d’illustrer ces propos dans deux autres domaines essentiels au bon fonctionnement de nos économies et qui sont par nature de dimension internationale : la fiscalité internationale et les questions environnementales.

 

La fiscalité internationale

 

Partant du constat que la fiscalité internationale n’avait pas évolué à la même vitesse que les modèles économiques et les progrès technologiques, l’OCDE, avec ses membres et en partenariat avec le G20, a pris les devants. Notre priorité est de permettre la mise en place d’un système international de fiscalité plus transparent et plus équilibré, en particulier pour lutter contre l’évasion fiscale, et de réaligner les règles d’imposition.

 

La création d’une nouvelle norme internationale sur l’échange de renseignements automatique à des fins fiscales en 2014, maintenant adoptée par 94 juridictions  est une étape historique. Ces progrès - que la France a fortement soutenus - marquent une véritable révolution dont certains effets sont déjà perceptibles sur le comportement des contribuables. Les pays estiment avoir collecté plus de 37 milliards d’euros grâce à ces programmes de déclaration spontanée. En outre, nous travaillons ensemble pour soutenir les pays en voie de développement pour qu’ils bénéficient de cette nouvelle la transparence fiscale globale.

 

Après deux ans de travaux exigeants, les pays de l’OCDE et du G20 sont aussi sur le point de livrer début octobre, les mesures pour enrayer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéficies (BEPS). BEPS désigne les pratiques par lesquelles des entreprises multinationales arrivent à séparer artificiellement les bénéficies des activités qui les génèrent, et en cela, à échapper à l’impôt.

 

Lorsque l’OCDE aura livré l’ensemble des mesures préconisées, il appartiendra aux pays, et en particulier à vous Législateurs, d’assurer leur mise en place effective dans la loi interne, et dans les traités fiscaux bilatéraux. Vous pouvez compter sur nous pour vous soutenir face à ce défi. L’ensemble de ces mesures sur la fiscalité internationale devrait avoir un impact important non seulement sur les recettes des administrations publiques, mais aussi sur la confiance des citoyens dans les règles de l’économie mondiale.

 

L’environnement

 

En ce qui concerne l’environnement, le changement climatique est l’une des préoccupations globales phare au moment où les pays se préparent à conclure un nouvel accord à Paris lors de la COP21. Dans nos prévisions, le changement climatique aura un impact de 1,5% sur le PIB d’ici 2060, et ce chiffre ne prend pas en compte les coûts sur la santé et la productivité induits par la pollution locale.

 

L’OCDE, en coopération avec l’Agence Internationale de l’Énergie, l’Agence de l’Énergie Nucléaire, et le Forum International des Transports, publiera la semaine prochaine un rapport majeur sur la question de l’alignement des politiques pour une économie sobre en carbone.

 

Un grand nombre d’intérêts économiques et de politiques publiques dans des domaines tels que l’investissement, la fiscalité ou l’innovation sont, sciemment ou non, encore orientés vers une économie intensive en combustibles fossiles. Aider les gouvernements à améliorer la cohérence des réglementations et des cadres d’action avec les objectifs climatiques, c’est faciliter la transition et en réduire son coût. L’OCDE travaille également étroitement avec la présidence française de la COP21, dans la recherche d’un accord international satisfaisant.

 

 

Mesdames et messieurs les Sénateurs,

 

Pour améliorer l’horizon de nos économies à moyen terme, j’ai choisi de me focaliser aujourd’hui sur la nécessaire amélioration des performances de nos économies en matière de productivité, d’équité et d’égalité des chances de chacun, et en matière environnementale. Ce sont des conditions en quelque sorte sine qua non. Derrière ces mots se cachent une grande partie de nos politiques publiques. J’en ai mentionné certaines, mais on pourrait en rajouter d’autres fondamentales comme l’importance de mettre en œuvre des réformes pour favoriser le commerce mondial, l’investissement et le crédit. Si l’avenir est toujours incertain, les politiques à mettre en œuvre aujourd’hui sont claires.

 

Permettez-moi aussi de profiter aujourd’hui de cette opportunité pour vous encourager à participer à notre Réseau Parlementaire Mondial, en expansion depuis quelques années. D’ailleurs, plus tard aujourd’hui, quelques parlementaires français vont participer à un séminaire que nous organisons à Rome avec le Parlement italien sur « Les réformes pour la croissance en Europe ». La prochaine réunion de l’ensemble de notre Réseau aura lieu le 1er octobre 2015 à Paris.

 

Je vous remercie.


 

 

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