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Finances

Pour une finance digne de confiance

 

La perte de confiance du public vis-à-vis des secteurs bancaire et financier est justifiée. La confiance ne sera rétablie que si les questions d’aléa moral et de conflits d’intérêts sont traitées. Des réformes s’imposent pour que les banques et les banquiers – et non les contribuables – paient le prix de leurs échecs et soient tenus pleinement responsables de leurs actes.

Depuis le début de la crise financière, les prêts hypothécaires à risque notés AAA, les milliards dépensés en renflouement et en pertes de production, les traders malhonnêtes qui ont fait perdre des milliards à leurs banques, ou encore la manipulation des taux du Libor (indice de taux interbancaire), ont ébranlé la confiance des citoyens à l’égard du secteur financier. Ces scandales sont tous liés aux deux principaux dysfonctionnements du secteur financier : l’aléa moral et les conflits d’intérêts.

L’aléa moral désigne une situation dans laquelle un individu est incité à prendre un risque plus grand dès lors que quelqu’un d’autre paiera en cas d’échec. Autrement dit : « pile je gagne, face tu perds ». Or, le problème est omniprésent dans le secteur financier. Dans les salles de marché, les traders reçoivent des primes conséquentes si leur audace est couronnée de succès, tandis que leur employeur ou leur client essuie les pertes en cas d’échec. Au sommet de la hiérarchie, les hauts responsables des grandes banques mondiales sont généreusement récompensés en cas de réussite et bénéficient de parachutes dorés lorsqu’ils partent, même après de mauvais résultats. Au niveau macroéconomique, les banques « trop grandes pour faire faillite » peuvent engranger d’énormes bénéfices sur des paris qui tournent à leur avantage, alors que la responsabilité des pertes menaçant leur existence pèse sur les contribuables, qui renflouent les caisses.

Examinons de plus près les renflouements. Les banques commerciales traditionnelles offrent des services indispensables à la bonne marche de l’économie : prêts aux entreprises et aux ménages, protection de l’épargne, services de paiement. Aussi, aucun État ne veut prendre le risque de laisser les grandes banques commerciales faire faillite. Or, généralement, ces établissements sont également de grandes banques d’investissement menant des activités souvent plus risquées et plus spéculatives que les activités commerciales classiques. En moyenne, les grandes banques européennes consacrent moins de 30 % de leur bilan au crédit accordé aux ménages, aux entreprises et aux institutions non financières. Lorsque leurs activités d’investissement les rapprochent d’un scénario catastrophe, les pouvoirs publics sont contraints de les renflouer pour éviter des perturbations majeures dans l’ensemble de l’économie. Pire encore : le degré d’interconnexion entre les établissements financiers est tel que même des banques exerçant exclusivement des activités d’investissement requièrent des garanties publiques lorsqu’elles sont assez importantes pour entraîner dans leur chute les banques universelles.

Les banques universelles, surtout celles « trop grandes pour faire faillite » ou « d’importance systémique », bénéficient donc d’une garantie implicite de l’État, véritable gage de sécurité aux yeux des prêteurs. Cela leur permet d’emprunter à des taux moindres que ceux consentis aux établissements plus petits ou plus spécialisés, faussant non seulement la concurrence mais aussi la structure de financement des banques : en moyenne, les banques commerciales européennes doivent recourir au financement de gros pour 15 % de leurs prêts afin de combler l’écart avec les dépôts, alors que cette proportion est de 50 % pour les activités commerciales. Le financement de gros auprès des investisseurs institutionnels étant par nature plus volatile que les dépôts, la combinaison des deux activités (crédit et trading) accroît la volatilité de la structure de financement des banques universelles, notamment de leurs activités commerciales. En clair, la garantie publique implicite incite les grandes banques universelles à introduire un effet de levier dans leur structure financière, au détriment de leurs activités commerciales traditionnelles. En période de conjoncture favorable, les contribuables apportent une garantie dont ils ne profitent guère, mais en période de crise, ils sont les premiers à payer. En un mot : gains privés, pertes publiques.

©Reuters/Lucas Jackson

Il est indispensable de mettre fin à l’aléa moral. Pour cela, il faut clairement séparer les activités commerciales des activités d’investissement des banques, afin d’éliminer une situation dans laquelle les contribuables apportent une garantie aux activités risquées et spéculatives. Une telle mesure de séparation pourrait renforcer la croissance économique et la compétitivité du secteur financier grâce à l’effet produit sur la taille et la complexité des banques. En effet, cette séparation réduirait la taille des banques et celle du secteur bancaire dans son ensemble, ce qui, selon une récente étude de la Banque des règlements internationaux (BRI), aurait un impact positif sur l’expansion économique. Dans tous les cas, les banques doivent être en capacité d’absorber leurs pertes, voire de faire faillite sans entraîner le reste de l’économie dans le marasme.

À l’échelon européen, un groupe d’experts de haut niveau conduit par Erkki Liikanen, le gouverneur de la Banque de Finlande, a conseillé à la Commission européenne de prendre les mesures nécessaires à la séparation des activités de crédit et de trading. Finance Watch soutient cette recommandation, même si nous considérons qu’elle est insuffisante et qu’elle représente le strict minimum par rapport aux réformes nécessaires.

Le second problème à régler pour rétablir la confiance, les conflits d’intérêts, est omniprésent dans le secteur financier. L’exemple du scandale du Libor est éclairant. Les banques doivent communiquer le niveau des taux d’intérêt qui leur est appliqué pour leurs financements à court terme. Dans le même temps, elles détiennent des instruments financiers dont la valeur est déterminée par le Libor, et dépendent de celui-ci pour déterminer leurs coûts de financement. Le taux du Libor a donc un impact important sur la rentabilité de ces instruments, d’où la tentation de le manipuler.

Un autre exemple de conflit d’intérêts est celui des conseillers financiers qui, dans bien des cas, sont financièrement incités à orienter leurs clients dans un sens qui ne sert pas au mieux leurs intérêts. Or, lorsqu’un conseiller a un intérêt financier à promouvoir certains produits, il devient un simple vendeur.

La résolution du problème des conflits d’intérêts suppose la mise en place d’une réglementation qui bloque ou neutralise les incitations perverses. Par ailleurs, au sein des établissements financiers, les salariés, les cadres, les dirigeants et l’entreprise elle-même doivent être tenus responsables de leurs actes.

Depuis 2008, la confiance perdue – à juste titre – à l’égard des banques n’a pas été retrouvée. Aucune réforme de grande envergure n’a été entreprise, de nombreuses banques n’ayant rien changé à leurs pratiques. L’aléa moral et les conflits d’intérêt sont omniprésents. Toutefois, le problème n’est pas insoluble, il suffit de changer les règles du jeu. Un nouveau cadre régulant le secteur financier serait profitable à tous à long terme : les particuliers et les chefs d’entreprise opéreraient dans un environnement économique moins sujet aux crises, les banquiers pourraient retrouver la confiance du public et des investisseurs, et les régulateurs n’auraient pas à craindre de perdre le contrôle d’un secteur financier tentaculaire qui peut entraîner l’économie mondiale dans l’abîme.

 

Références et liens recommandés

Finance Watch

Cecchetti, S.G. et E. Kharroubi (2012), « Reassessing the Impact of Finance on Growth », Document de travail n° 381, BRI, Bâle.

Liikanen, E. et al (2012), High-level Expert Group on Reforming the Structure of the EU Banking Sector, Commission européenne, Bruxelles.  

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Par Thierry Philipponnat, Secrétaire général, Finance Watch

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et Aline Fares, Conseillère auprès du Secrétaire général, Finance Watch  

 

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