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Comprendre la lutte contre l’extrémisme

 

Chacun voit midi à sa porte : pour faire face au radicalisme et au terrorisme, les professionnels de la sécurité sont enclins à envisager la force militaire, et ceux du secteur financier à réduire les flux de capitaux.

Il est donc naturel que les éducateurs considèrent la lutte contre le radicalisme et le terrorisme comme une bataille des cœurs et des esprits. Les récentes attaques terroristes en Europe ont néanmoins prouvé qu’il est bien trop simpliste de représenter les extrémistes et les terroristes comme des victimes de la pauvreté ou du manque d’instruction. Des recherches approfondies sur les antécédents des extrémistes et des terroristes sont absolument nécessaires, mais il est avéré que ces personnes ne sont souvent pas issues des catégories sociales les plus pauvres. L’extrémisme concerne également des jeunes de la classe moyenne qui ont suivi l’intégralité d’un cursus scolaire normal. Et, ironie du sort, ces terroristes semblent posséder les aptitudes sociales, créatives, globales et collaboratives ainsi que l’esprit d’entreprise que l’on présente souvent comme les objectifs d’un enseignement moderne.

Ce n’est toutefois pas une raison pour renoncer à l’éducation, qui reste l’outil le plus efficace pour bâtir un monde plus juste, humain et inclusif. Nous savons que les parcours individuels menant à l’extrémisme se nourrissent de l’absence d’inclusion sociale, de prospérité économique et de cohésion. Les jeunes deviennent réceptifs aux idées extrémistes lorsque leur image d’eux-mêmes, leur assurance et leur confiance interpersonnelle sont mises à mal par des identités fragmentées et des visions du monde contradictoires. En outre, il existe un lien évident entre la capacité relative des pays à intégrer et à former les enfants issus de l’immigration et la prévalence de l’extrémisme.

Notre publication récente, Immigrant Students at School, tend à démontrer que l’action publique peut réellement faire avancer les choses dans ce domaine. Elle met en évidence le fait que certains pays réussissent bien mieux que d’autres, non seulement à doter les enfants défavorisés et issus de l’immigration de compétences scolaires solides, mais aussi à favoriser leur intégration sociale. Prenons le cas de la Norvège : neuf étudiants de 15 ans issus de l’immigration sur dix y déclarent se sentir à leur place à l’école, contre moins de quatre sur dix en France. Le bien-être de ces élèves ne dépend pas uniquement des différences culturelles entre le pays d’origine et celui d’accueil, mais également de la manière dont l’école et la collectivité les aident à gérer les tracas de la vie et les difficultés d’apprentissage et de communication au quotidien.

Mais est-ce suffisant pour combattre le radicalisme et le terrorisme ? Encore une fois, faire preuve de compétences scolaires et sociales solides ne semble pas empêcher les individus de les utiliser pour détruire la société plutôt que pour la bâtir. On en revient ainsi au cœur de l’éducation : inculquer aux élèves les valeurs qui constituent une boussole fiable, et leur donner les outils nécessaires pour avancer avec assurance dans un monde toujours plus complexe, instable et incertain.

Le défi est évidemment de taille. Il faut parvenir à trouver le bon équilibre entre le renforcement des valeurs sociales communes, comme le respect et la tolérance, qui ne souffrent d’aucun compromis, et la reconnaissance de la diversité et de la pluralité de valeurs qu’elle entraîne. Aller trop loin dans un sens comme dans l’autre est dangereux : imposer une uniformisation artificielle des valeurs nuit à la capacité des personnes à reconnaître différentes perspectives, et donner trop d’importance à la diversité peut mener au relativisme culturel qui remet en question la légitimité de toute valeur fondamentale.

Plusieurs ministres et observateurs avec lesquels j’ai échangé saluent les efforts du programme PISA pour concevoir un indicateur des « compétences globales », à savoir l’ensemble des aptitudes qui permettent de voir le monde autrement, et de comprendre des notions, perspectives et valeurs différentes. Il semblerait en effet que l’une des réponses les plus puissantes à l’extrémisme et à la radicalisation soit la capacité à interpréter et à comprendre la diversité, tout en reconnaissant que nos valeurs libérales fondamentales, notamment la tolérance, sont les fondements de cette capacité.

Et ce n’est pas tout. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les démocraties libérales se sont engagées avec confiance dans la bataille mondiale des idées. Au XXIe siècle cependant, il semble que l’hégémonie idéologique naîtra d’un dialogue authentique et ouvert pour le bien commun. Les idées et valeurs progressistes et démocratiques devront prouver leur mérite face à des visions du monde divergentes.

C’est également là que l’éducation intervient. Les universités et écoles internationales, ainsi que les nombreux programmes d’apprentissage en ligne que beaucoup d’entre elles proposent, constituent des cadres parfaits pour partager et examiner ces idées et valeurs. Il importe donc de soutenir et de renforcer l’enseignement international dans son rôle d’échange mondial d’idées. Les cinq millions d’étudiants internationaux qui traversent les frontières et les océans pour suivre les meilleures études possibles sont aussi des champions du dialogue interculturel et de la compréhension mondiale. Ils pourraient même être beaucoup plus nombreux si nous investissions suffisamment dans l’enseignement afin d’offrir des possibilités intéressantes aux personnes brillantes dans des pays où les batailles idéologiques pour contrôler les jeunes esprits sont de plus en plus acharnées, et les enjeux terriblement élevés.

Adapté d’une publication en ligne diffusée initialement sur http://oecdeducationtoday.blogspot.fr le 22 janvier 2016.

OCDE (2015), Immigrant Students at School: Easing the Journey towards Integration, Examen de l’OCDE sur la formation des migrants, Éditions OCDE

Voir www.theewf.org/ et www.oecd.org/pisa/

 

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