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La croissance viendra d’une meilleure diffusion des technologies

 

Le prix Nobel Paul Krugman a bien résumé la question il y a quelques années en remarquant que « la productivité n’est pas tout mais, à long terme, c’est presque tout ». Améliorer la productivité ne veut pas dire travailler plus dur mais de manière plus intelligente, de façon à produire plus avec moins d’effort, notamment grâce à une bonne utilisation des nouvelles technologies.


En fait, c’est de l’évolution de la productivité que dépendra la capacité de nos sociétés à tenir leurs promesses aux générations futures en termes de bien-être, d’égalité des chances et de soutenabilité des systèmes de sécurité sociale. L’avenir de la productivité n’est donc pas une question purement académique.


Or, après avoir bondi au tournant des XXe et XXIe siècles à la suite de l’essor des nouvelles technologies de l’information, la croissance de la productivité a sensiblement ralenti dans les pays avancés depuis le début du siècle, un phénomène qui a été aggravé par la crise. Dans certains pays du sud de l’Europe, y compris la France, ce ralentissement a été particulièrement précoce et marqué, creusant un écart croissant avec le revenu par tête des Etats-Unis, après des décennies de convergence.


Face à ce phénomène, le débat s’est polarisé avec, d’un côté, ceux qui pensent que les nouvelles technologies ont déjà épuisé leur potentiel innovant et, de l’autre, ceux qui pensent au contraire que leur effet stimulant se maintiendra et conduira bientôt à une nouvelle accélération de la productivité. Qui a raison ?


Certaines sociétés « y arrivent » et d’autres pas


L’enjeu est de taille : sans une accélération durable de la productivité, la croissance continuera à être faible et le monde sera sûrement moins prospère à l’avenir. Un rapport récent de l’OCDE sur « Le futur de la productivité » (www.oecd.org, en anglais), discuté à Marseille lors de la conférence intitulée « L’avenir de la croissance en Europe ? », organisée par l’Institut méditerranéen de recherches avancées (IMéRA) et l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille (AMSE), les 24 et 25 septembre 2015, projette une lumière nouvelle sur ce dilemme et aide à comprendre dans quelle mesure sa solution dépend des actions des décideurs publics.


Selon cette étude, ce n’est pas un manque d’innovation mais plutôt le ralentissement de la diffusion des avancées technologiques dans les économies des pays industrialisés, dû en partie aux obstacles engendrés par des politiques inadaptées, qui réduit, depuis le tournant du siècle, l’impact des innovations sur la productivité.


La décélération de la productivité au niveau agrégé cache ainsi une réalité complexe. Un nombre limité d’entreprises très productives et innovantes – celles qui opèrent globalement « à la frontière technologique » – continue à croître très vite : en moyenne, leur productivité s’accroît de 3,5 % par an dans l’industrie, c’est-à-dire deux fois plus vite que celle des autres entreprises dans le même secteur. Un écart qui est encore plus extrême dans le secteur des services, où la productivité « à la frontière » croît de 5 % par an, contre un insignifiant 0,3 % pour le reste des entreprises de ce secteur.


Plus inquiétant, cet écart s’est accru rapidement au cours des années 2000. Bref, certaines firmes « y arrivent » et d’autres pas, et le clivage entre elles devient de plus en plus important. Ce n’est donc pas l’amélioration de la productivité à la frontière qui fait défaut, mais la diffusion des technologies et des techniques de production les plus avancées à l’ensemble de l’économie qui est de plus en plus lente.


Le rôle-clés des politiques publiques


Comment expliquer ce phénomène alors que, dans nos économies ouvertes et informatisées, ces technologies et ces techniques sont en principe largement accessibles et devraient se diffuser de plus en plus rapidement ? Les raisons sont nombreuses, mais le rapport souligne que les politiques publiques peuvent jouer un rôle-clé pour relancer la machine de la diffusion, inverser la courbe de la productivité et assurer l’avenir de la croissance.


En premier lieu, en promouvant l’ouverture au commerce et à l’investissement international : le rapport de l’OCDE montre qu’une plus forte participation des entreprises aux chaînes de valeur mondiales accélère la diffusion technologique. Elle permettrait par exemple de doubler la croissance de la productivité dans des pays comme la Grèce ou l’Espagne.


En deuxième lieu, en facilitant l’affectation aux entreprises les plus performantes des ressources et des compétences disponibles dans l’économie dont elles ont besoin pour croître. Si l’afflux des travailleurs vers ces entreprises était rendu aussi aisé en Italie et au Portugal que dans les pays nordiques, l’OCDE estime que leur contribution à la performance de la productivité agrégée de ces derniers pays pourrait être triplée.


Enfin, en facilitant l’entrée de nouveaux acteurs dans les marchés, spécialement ceux des services, mais aussi leur sortie en cas d’échec. Cela stimule l’expérimentation de nouvelles technologies et de nouveaux modèles d’entreprises, et donc l’innovation. L’afflux de capitaux vers les entreprises innovantes en France pourrait être, par exemple, trois fois plus important si l’environnement économique était aussi propice à l’expérimentation qu’en Suède.


Les réformes nécessaires varient bien sûr de pays à pays, mais les économies en mal de productivité n’ont d’autre choix que d’en établir la liste, et piocher dedans.


• Giuseppe Nicoletti (économiste à l’OCDE)

 

Article a été initialement publié dans Le Monde le 6 janvier 2016. Lire la version d’origine.

 

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