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Innovation

Remise du rapport Examens de l'OCDE des politiques d'innovation : la France

 

Remarques introductives par Angel Gurría, Secrétaire Général de l’OCDE


Paris, 27 Juin 2014

(As prepared for delivery)

Monsieur le Ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique,

Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,

Madame la Secrétaire d'État chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,

Monsieur le Commissaire Général à la Stratégie et à la Prospective,

Monsieur le Commissaire Général Adjoint à l’Investissement,

Mesdames et Messieurs,

 

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour la remise du rapport de l’OCDE intitulé Examens des politiques d’innovation : La France. Et ce, d’autant plus que lorsque j’ai rencontré le Président Hollande à deux reprises en 2012, il avait mentionné que l’amélioration de la productivité, de la compétitivité et des capacités d’innovation étaient ses priorités, notamment dans sa collaboration avec l’OCDE.

 

Ce rapport a été réalisé à la demande du Commissariat Général à l’Investissement, afin de s’engager dans une évaluation approfondie du Programme des Investissements d’Avenir.

 

Ce rapport reflète le regard que les autres pays membres, notamment ceux qui sont les plus avancés dans ce domaine, posent sur la France : c’est en quelque sorte une revue par les pairs,  qui vise à positionner la France et à l’aider à avancer.

 

Avant d’entrer dans des détails techniques, laissez-moi rappeler que l’histoire du système de recherche et d’innovation français depuis le milieu du siècle passé a été marquée par des succès importants au niveau international. C’est notamment le cas par exemple des avancées technologiques issues des grands programmes en aéronautique, dans le nucléaire, ou le ferroviaire. 

 

La France se situe aujourd’hui dans le groupe des pays à la frontière mondiale de la connaissance. C’est une situation dans laquelle de nombreux autres pays en mode de rattrapage scientifique et technologique aimeraient être. Mais c’est aussi un défi permanent posé au système de recherche et d’innovation de constamment inventer son chemin pour continuer de progresser. La globalisation et l’accélération de la création des connaissances demandent aux systèmes les plus avancés réactivité, décloisonnement et ouverture.

 

Les principales caractéristiques du système français datent de l’après-guerre quand la France devait moins inventer un chemin que se mettre au niveau, notamment avec les États-Unis. Des réformes considérables ont été commencées pour moderniser le système, avec par exemple le Programme des Investissements d’Avenir, la mise en place d’une agence d’évaluation (HCERES) et de l’Agence Nationale de la Recherche.

 

Les défis restent néanmoins importants. Et c’est ceux-là que je vais développer afin d’envisager des réformes qui peuvent continuer à faire la différence dans l’avenir et placer la France au mieux dans les chaines de valeurs mondiales.

 

Dépenses des entreprises en matière d’innovation et de recherche


Premier constat
, l’industrie Française dépense moins en matière de recherche et d’innovation que nombre de ses concurrents, moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et en ce qui concerne l’Europe, moins que les pays d’Europe du Nord ou que l’Allemagne.  La R&D des entreprises en France représente 1,5% du PIB, contre 2% en Allemagne, sachant qu’il y a 20 ans les deux pays étaient au même niveau, à 1,5%.

 

Les entreprises françaises, individuellement, sont innovantes, mais elles sont trop peu nombreuses et trop petites. Si les entreprises françaises sont petites, c’est dû pour beaucoup au fait qu’elles ont du mal à croître. Sont en cause des effets de seuil dans les réglementations économiques ou sociales, et dans la fiscalité.

 

Les entreprises et les entrepreneurs sont aussi très généreusement soutenus lorsqu’ils sont petits, par contre leur croissance est traitée moins favorablement, aussi bien par les réglementations que par la fiscalité. Encourager la création d’entreprise c’est bien, mais il est tout aussi important de débrider leur croissance pour ne pas faire que la moitié du chemin.

 

Les politiques d’encouragement à l’entrepreneuriat en France pourraient être plus sélectives pour améliorer cette situation. Par exemple, aujourd’hui, à travers le Programme JEI (Jeunes entreprises innovantes), elles aident toutes les jeunes entreprises innovantes, jusqu’à 7 ans, et cela indépendamment de leur potentiel de croissance. Le résultat est un niveau d’aide par entreprise qui est suffisant pour assurer leur survie mais insuffisant pour aider à leur croissance.

 

 

Les politiques de soutien à l’innovation


Deuxième constat
, le système français d’aide publique à l’innovation et à la R&D des entreprises est considérable. En améliorant son efficacité, il pourrait faire la différence. Les transferts de l’État vers les entreprises pour la R&D représentaient EUR 7,2 milliards en 2010. Ce montant se partageait entre les aides directes pour EUR 1,3 milliard, des contrats publics pour la défense pour EUR 1,2 milliard, et des aides indirectes, surtout le crédit d’impôt-recherche et secondairement le Programme JEI, pour EUR 4,5 milliards.

 

Le rapport monte qu’il existe de bonnes – ou très bonnes – pratiques en France, telles que les pôles de compétitivité, que plusieurs pays imitent, ou nombre de programmes de BPI-France, qui font l’objet d’une conception et d’un suivi très professionnels.

 

Le rapport s’interroge en revanche sur l’efficacité du Crédit d’Impôt Recherche. Il est l’un des soutiens fiscaux à la recherche-développement les plus généreux des pays de l’OCDE. Il permet aujourd’hui de soustraire de l’impôt 30% des dépenses de recherche-développement jusqu’à un seuil très élevé, 100 millions d’Euros. Il coute à l’État 5 milliards d’Euros par an, bientôt 7 milliards.

 

Or, les entreprises françaises n’ont pas accru leurs dépenses de recherche-développement depuis la mise en place de cette mesure sous son format actuel en 2008. Dans un contexte de crise, le CIR semble plutôt avoir soutenu la survie des entreprises qui font de la recherche-développement par rapport à celles qui n’en font pas, plutôt qu’avoir soutenu l’investissement en R&D. Une approche plus économique serait de réduire la pression fiscale générale sur les entreprises, et en parallèle de réduire la générosité du CIR. 

 

La recherche publique


Troisième et dernier grand constat :
 la recherche publique a peu progressé depuis 10 ans, alors que d’autres pays, comme la Chine, ont émergé dans ce secteur. D’autres encore comme l’Allemagne ont mené de grandes réformes qui ont renforcé leur recherche.

 

Certains organismes publics de recherche appliquée ont de très bons résultats, et quelques grandes universités de recherche ont récemment émergé dans la recherche internationale (par exemple, Université Pierre Marie Curie, Paris Sud). Mais la science française, en moyenne, a des résultats qui se situent derrière les pays leaders.  La qualité de la recherche française mesurée par les publications les plus citées est maintenant rattrapée par l’Italie et elle a perdu 5 points par rapport à l’Allemagne depuis l’an 2000.

 

La France a engagé des réformes de la recherche publique dès la fin des années 90, et le système gagnerait à ce qu’elles soient menées jusqu’au bout. On sait qu’une recherche solide est faite d’un mixe subtil entre des types de recherches avec des financements stables et planifiés, et d’autres avec des mécanismes concurrentiels et de multiples solutions alternatives de financements.  Mais les deux types de systèmes doivent être cohérents et s’inscrire dans une continuité.

 

La France s’est dotée de tous les outils pour mettre en œuvre un mode de financement concurrentiel et sur projets, accompagné d’une évaluation sérieuse, qui pourraient maintenant être utilisés à leur plein potentiel.

 

L’agence de financement (l’ANR), l’agence d’évaluation (le HCERES), les programmes d’excellence, le PIA, le rattachement des unités de recherche à des universités autonomes, tout est là. Mais cette nouvelle gouvernance s’est ajoutée au système existant. La superposition des deux systèmes a parfois abouti à des lourdeurs, des complexités, et à une perte d’efficacité du système. Il s’agit maintenant de donner le rôle principal aux nouveaux outils.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Les travaux sur les chaines de valeurs mondiales de l’OCDE montrent que les actifs intellectuels sont de plus en plus importants pour la compétitivité des économies. Par ses multiples réformes, et aussi en se dotant d’un plan d’innovation, la « Nouvelle France Industrielle », et d’une Stratégie Nationale de Recherche, la France se positionne parmi les pays qui donnent des directions fortes à leur développement technologique.

 

Il est nécessaire maintenant qu’une plus grande cohérence soit donnée à ces tournants. Le lancement aujourd’hui de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation va certainement dans ce sens.

 

Merci.