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France

Echange avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur, et de la Recherche

 

Remarques d’Angel Gurría,

Secrétaire général, OCDE

10 Juillet 2015

Paris, France

 

 

Madame la Ministre, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues, Mesdames et Messieurs, 

 

Comme j’ai eu l’occasion de le dire à nouveau au Président de la République lors de sa dernière visite le mois dernier au Forum de l’OCDE, nous partageons le projet du gouvernement français d’une économie plus forte et d’une société plus juste, reposant sur des fondations saines et solides.  Et en cela, les performances des systèmes d’éducation sont au cœur de nos préoccupations.

 

À cet égard, je suis particulièrement heureux de vous recevoir à un moment où le débat sur la réforme de l’éducation en France est – pour le moins  – animé. Il faut bien reconnaître que la réforme d’un système d’éducation se fait rarement sans heurts ni désaccords, tant le sujet est sensible pour l’ensemble de la population.

 

Il faut un vrai courage politique pour s’atteler aux réformes dans ce secteur, et Madame la Ministre, nous sommes heureux de pouvoir vous aider dans cette entreprise et de discuter avec vous aujourd’hui de vos réformes et de comment aller plus loin.

 

En effet, ce n’est pas facile. Hier, c’était la réforme des rythmes scolaires au niveau du primaire qui suscitait la polémique. Aujourd’hui, c’est la réforme du collège. Nul doute que les réformes dans l’avenir continueront à mobiliser dans le débat le corps enseignant, les parents d’élèves et l’ensemble de la société.  Mais ensemble, nous devons persévérer pour faire avancer les systèmes d’éducation pour qu’ils soient les plus performants et équitables possibles.

 

Nous avons préparé une note intitulée «Vers un système d’éducation plus inclusif en France? Point d’étape sur les enjeux en matière d’égalité du système d’éducation et sur les réformes en cours » qui rassemble l’analyse de l’OCDE sur les inégalités du système d’éducation en France par rapport aux autres pays de l’OCDE, l’état des réformes et nos recommandations pour aller plus loin. Permettez-moi de revenir sur ses grandes lignes qui j’espère nourriront notre discussion aujourd’hui sur vos réformes.

 

L’enjeu pour la France est de construire un système d’éducation plus inclusif

 

Le système d’éducation français est fondé sur des bases solides et produit de brillants talents reconnus dans de nombreux domaines. La massification, dans les années 1980, de l’accès à l’enseignement supérieur a été un tournant pour augmenter le niveau d’instruction de la population.   

 

Pour autant, cette massification ne doit pas cacher que le système français d’éducation est aujourd’hui l’un des plus inégalitaires et élitistes de la zone OCDE. Selon PISA, 20% des élèves en France sont en échec scolaire. Par ailleurs, ce sont 140 000 jeunes – la plupart issus de milieux défavorisés – qui quittent le système scolaire sans diplôme. Enfin, 20% des jeunes ayant quitté le système scolaire au cours des deux dernières années affichent un niveau faible en littéracie contre 14% en moyenne dans les pays de l’OCDE ayant participé à l’étude de 2012 sur l’évaluation de la compétence des adultes.

 

Ces jeunes, mal qualifiés, sont difficiles à embaucher, et sont par ailleurs coûteux à l’embauche. Ils se retrouvent en situation de grande précarité sur le marché du travail. Toutes les études montrent que les inégalités débutent dès le début de la scolarité pour s’accentuer au niveau de l’enseignement secondaire et ont des conséquences tout au long de la vie. La situation des enfants issus de l’immigration est encore plus difficile et le système d’éducation obtient de moins bons résultats pour ces enfants que beaucoup d’autres pays de l’OCDE.

 

L’enjeu principal en France aujourd’hui est donc celui de la capacité du système à faire progresser les plus fragiles non seulement pour des raisons d’équité sociale mais aussi pour étayer les compétences de la main d’œuvre nécessaires à la croissance économique de demain.

 

Les réformes actuelles vont dans le sens d’une école plus juste

 

À eux seuls, les chiffres sur les inégalités dans le système d’éducation justifient la refondation de l’école et la priorité donnée à la lutte contre les inégalités et le décrochage scolaire. En ce sens, les réformes engagées dans le primaire, puis, par vous, Madame la Ministre, au collège, sont un tournant.

 

Réduire la part des dispositifs facultatifs suivis par une minorité pour les généraliser au plus grand nombre, instituer des enseignements interdisciplinaires dans le cadre desquels les élèves apprendront à travailler en équipe et développeront ainsi de nouvelles compétences essentielles à leur réussite professionnelle, renforcer le suivi personnalisé dont tous les élèves ont besoin, qu’ils soient bons ou en difficulté : voilà autant de mesures indispensables à la réussite de tous.

 

Et je souhaiterais insister sur le mot « tous ». Les réformes engagées dans d’autres pays comme en Allemagne ou en Pologne visant à réduire les inégalités n’ont pas entraîné de nivellement des élèves par le bas. Bien au contraire, la proportion d’élèves en échec scolaire y est en recul depuis 9 ans et celle des bons élèves en hausse.

 

Il est nécessaire d’aller plus loin dans les réformes

 

Afin d’aboutir aux résultats escomptés en France, il sera nécessaire de continuer les efforts de façon systématique et d’aller plus loin dans la réforme. Tout d’abord, les enseignants devront s’approprier les grandes lignes de la réforme et être bien formés pour maîtriser les évolutions pédagogiques liées à la loi pour la refondation de l’école, utiliser les outils numériques et appliquer les nouveaux programmes.

 

Comme vous avez commencé à vous y engager, il conviendra donc de poursuivre vos réformes du métier d’enseignant, de s’assurer que la nouvelle formation initiale des enseignants est bien en place, et de développer la formation continue. Il faudra aussi mieux les préparer pour le travail en équipe, ingrédient incontournable du succès des nouveaux ateliers interdisciplinaires qui seront dispensés à partir de 2016.

 

Il sera important de s’assurer que des enseignants expérimentés et bien formés sont affectés dans les établissements les plus difficiles. Nous recommandons aussi de renforcer la capacité des enseignants à adopter une approche holistique des compétences y compris sociales et émotionnelles et de mieux transmettre la communication non violente.

 

Enfin, il est nécessaire de continuer à diminuer le taux de redoublements, d’assurer plus d’équité dans l’allocation des moyens en faveur des établissements défavorisés, de rehausser la qualité et de mieux valoriser les filières professionnelles au lycée, et d’améliorer l’équité et l’efficacité dans l’enseignement supérieur. Et enfin, il reste fondamental d’assurer un système de deuxième chance et une meilleure sécurisation vers l’emploi pour ceux qui sortent du système sans qualification.

 

Madame la Ministre,

 

Vous avez ouvert un chantier  important pour l’avenir de la société française, et nous serons heureux de continuer à vous accompagner dans cette direction.  Les réformes doivent se poursuivre pour que tous les jeunes développent les compétences nécessaires et trouvent leur voie dans un monde de plus en plus versatile, incertain et complexe tout en intégrant les valeurs de la société, comme la tolérance, le respect, la responsabilité individuelle et collective, l’intégrité et la conscience citoyenne.

 

Je vous remercie.