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États-Unis

Le déclin du secteur manufacturier américain et l’avènement des nouveaux modèles de production

 

Entre 2000 et 2010, le secteur manufacturier américain a vécu un cauchemar. Son effectif, relativement stable autour de 17 millions depuis 1965, a chuté d’un tiers en dix ans, perdant 5,8 millions d’emplois, pour tomber sous la barre des 12 millions en 2010 (avant de remonter à 12,3 millions d’emplois à peine en 2016). Il est certain que la récession de 2007-2008 a accéléré les choses, mais les causes étaient aussi structurelles, et pas seulement financières. Le secteur présentait des faiblesses en matière d’investissement, de production, de productivité et de déficit commercial. Contrairement à ce que beaucoup croyaient, ce ne sont pas les gains de productivité découlant de la robotique et de l’automatisation qui sont à l’origine de la baisse de l’emploi manufacturier ; le secteur a en fait perdu sa substance.

 

Ce bouleversement économique a entraîné des perturbations sociales croissantes. Alors que la plupart des Américains s’imaginaient que le pays était en train de devenir une grande classe moyenne, c’est en fait une classe ouvrière mise à mal par la chute de ses revenus qui a exprimé sa colère lors des élections présidentielles de 2016. Entre 1990 et 2013, le revenu médian des hommes sans formation de niveau secondaire a baissé de 20 %, et de 13 % pour les diplômés du secondaire ou ceux ayant accédé à l’enseignement supérieur. Le déclin du secteur manufacturier des États-Unis, jusque-là la voie d’accès traditionnelle à la classe moyenne, a été particulièrement lourd de conséquences pour ce segment de la population. Nous faisons aujourd’hui face à un grave problème d’inégalité des revenus.

 

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La question est de savoir maintenant si le secteur peut rebondir. Une idée circule actuellement aux États-Unis, selon laquelle il pourrait se transformer grâce aux nouveaux modèles de production. Il y a déjà eu de nouveaux modèles dans l’histoire industrielle : l’utilisation de la vapeur au Royaume-Uni, le développement des pièces interchangeables faites à la machine, puis la production de masse, aux États-Unis, et la fabrication de qualité au Japon. Les États-Unis font aujourd’hui face à la concurrence de producteurs à bas salaires et bas coûts, surtout asiatiques. Est-ce que l’économie peut miser sur son système d’innovation, encore puissant, pour concevoir de nouveaux modèles de production permettant de gagner en efficience et de réduire les coûts, afin d’améliorer la compétitivité du secteur ?

 

L’innovation peut aussi être bénéfique en elle-même : l’innovation dans la production peut faire naître des produits plus compétitifs, et plus innovants. Selon les scientifiques, de nouvelles percées pourraient, dans divers domaines, transformer la production de technologies et biens à forte valeur ajoutée, avec, à la clé, des gains d’efficience considérables. Matériaux de pointe, production numérique, photonique, composites légers, impression 3D, robotique d’assistance, fibres révolutionnaires, nano- et biofabrication, vont de pair avec autant de nouveaux modèles de production. Ces innovations technologiques doivent pouvoir s’appuyer sur de nouveaux processus et modèles économiques. Il n’y aura pas forcément d’emplois créés au stade de la production, mais la croissance de l’emploi est probable en amont et en aval, étant donné l’effet multiplicateur de l’activité manufacturière dans les chaînes de valeur des entreprises auxquelles elle est reliée.

 

L’élaboration de ces nouveaux modèles est l’idée-force qui sous-tend la fabrication de pointe aux États-Unis. Quatorze nouveaux instituts s’y consacrent, organisé chacun autour d’un modèle potentiel. Créés et financés conjointement par l’industrie, les universités, les États et l’administration fédérale, ces instituts mènent des recherches collaboratives sur les technologies de pointe, des bancs d’essai et installations de démonstration partagés, et de nouvelles approches de la formation de la main-d’œuvre. Ces instituts se veulent la transposition, aux États-Unis, du modèle allemand de l’Institut Fraunhofer, auquel ils associent le modèle collaboratif antérieur du consortium américain Sematech, qui a misé sur des processus de production de pointe dans les années 1980 et 1990 pour asseoir son leadership dans le domaine des semi-conducteurs.

 

Ce système est extrêmement complexe. Chaque institut est en relation avec plus d’une centaine de petites et grandes entreprises, d’universités et de community colleges, et d’agences des États ou de l’administration fédérale, avec le soutien des organismes fédéraux de R-D, qui financent les chercheurs principaux, et non une multitude de collaborateurs. Un fonctionnaire de l’administration fédérale a comparé la création d’un institut de ce type à la formation d’une nouvelle nation. Les instituts doivent fonctionner au niveau régional, parce que les entreprises manufacturières font partie de l’écosystème régional, mais aussi faire en sorte que leurs nouvelles technologies de production soient mises en œuvre à l’échelle nationale − c’est toute la difficulté de l’exercice.

 

Les instituts sont aussi devenus un nouveau vecteur de formation de la main-d’œuvre, qui est un enjeu de plus en plus important pour les entreprises manufacturières américaines. La fabrication de pointe suppose en effet une main-d’œuvre et des ingénieurs formés en conséquence. Les États-Unis sont peut-être le marché du travail le plus décentralisé du monde développé, d’où la difficulté que pose le relèvement nécessaire du niveau des compétences. C’est ce à quoi s’emploient maintenant les instituts, forts de leur capacité à réunir toutes les parties prenantes, en mettant à leur disposition des outils en ligne et des installations de développement technologique et d’essais.

 

Le trait le plus intéressant de l’initiative de fabrication de pointe américaine est peut-être la grande variété de technologies qui sont visées par les instituts. Contrairement à certains pays, qui prennent des mesures isolées pour transposer l’internet des objets dans l’environnement manufacturier, les États-Unis, grâce à leurs instituts de pointe, embrassent un large éventail de technologies : matériaux, numérique, bio-, nano-. Le défi sera par contre de faire converger les différents axes de recherche en vue de créer un nouveau système. L’usine du futur ne sera pas organisée autour de technologies isolées ; elle en combinera plusieurs. Les instituts commencent à se regrouper pour former un réseau, ManufacturingUSA, qui aura la tâche délicate d’intégrer leurs résultats dans un système de production entièrement nouveau. Il faut espérer que l’on continuera de tester le potentiel de ce nouveau modèle d’innovation.

 

Références

Bonvillian, William et Singer, Peter (à paraître), Advanced Manufacturing : The New American Innovation Policies, MIT Press, Boston.

OCDE (2017), The Next Production Revolution : Implications for Governments and Business, Éditions OCDE, Paris. DOI : http://dx.doi.org/10.1787/9789264271036-en

OCDE (2016), OECD Science, Technology and Innovation Outlook 2016, Éditions OCDE, Paris.
DOI : http://dx.doi.org/10.1787/sti_in_outlook-2016-en

© L'Annuel de l'OCDE 2017

 

 

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William B. Bonvillian
Professeur au MIT et Conseiller auprès du Centre de performance industrielle du MIT

© L'Annuel de l'OCDE 2017

 

 

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